Le long chemin vers la généralisation des méthodes agiles

15/01/2020

6min

Un article publié dans “The conversation”

Akim Berkani, Université Paris Dauphine – PSL et Sébastien Tran, Pôle Léonard de Vinci – UGEI

Initialement mises en place pour des projets de développement de logiciels, les méthodes agiles de gestion de projet ont, durant les 25 dernières années, gagné du terrain dans différents domaines d’application (chez Saab par exemple, dans la construction d’avions d’après un article de Furuhjelm et coll., 2017). Cela a contribué à l’essor d’un nouveau paradigme de gestion de projet où les approches agiles sont différenciées des approches dites traditionnelles de gestion de projet.

Ces dernières désignent principalement, dans la littérature en systèmes d’information, le développement en cascade ou le développement via le cycle en V. Quant aux méthodes agiles, ce sont des méthodologies légèrement formalisées qui permettent de prendre en compte des besoins et des solutions évoluant tout au long d’un projet, en s’appuyant sur des équipes pluridisciplinaires avec une certaine forme d’autogestion. Elles reposent sur un processus de développement itératif, incrémental et adaptatif aux contingences du projet.

Méthodes agiles : un effet de mode

Selon une récente étude, 96 % des acteurs projets de grandes organisations (chef de projet et développeur entre autres), déclarent mettre en place des méthodes agiles. Or, cette même étude comporte un paradoxe qui s’explique, sans doute, par un effet de mode autour de l’agilité. À la question « combien d’équipes mettent en place les approches agiles ? », seulement 7 % répondaient que l’ensemble des équipes de leurs organisations mettait en œuvre fidèlement ce genre de méthode.

La question du processus d’adoption des méthodes agiles est donc importante. Comme le suggèrent les résultats de l’étude, la tendance n’est plus d’expérimenter ce mode de fonctionnement, mais plutôt de le généraliser. Ce qui débouche sur de nouvelles problématiques : comment faire ? Quelle approche généraliser ? Jusqu’à quel niveau de l’organisation ? Le processus d’adoption se limite-t-il exclusivement à la direction des systèmes d’information ? Les réponses sont d’autant plus difficiles à trouver que, ces deux dernières décennies, les méthodes agiles sont devenues très hétérogènes.

Généralisation des méthodes agiles : la genèse

La démocratisation du concept provient notamment de la parution, en 2001, du « Manifeste agile » par un groupe de 17 experts du génie logiciel provenant principalement des États-Unis. Ces derniers cherchaient à établir une meilleure façon de développer les logiciels.

Pour dépasser les méthodes traditionnelles, ils mobilisaient une philosophie de base composée de quatre valeurs (et 12 principes sous-jacents) pour mettre en avant « les individus et leurs interactions plus que les processus et les outils ; des logiciels opérationnels plus qu’une documentation exhaustive ; la collaboration avec les clients plus que la négociation contractuelle et l’adaptation au changement plus que le suivi d’un plan ».

On ne peut toutefois considérer ce manifeste comme l’origine des méthodes agiles. Quelques années auparavant, en 1994, le Standish Group, société internationale de conseil en recherche informatique, sortait son premier rapport intitulé « Chaos Report ». Cette étude était à l’époque l’une des premières à tenter de chiffrer le taux de réussite des projets de développement de logiciel aux États-Unis. La méthodologie de l’étude, peu transparente, est critiquable. Il en ressort néanmoins un taux considérable d’échecs des projets.

À cette même époque, Ken Schwaber et Jeff Sutherland, tous deux experts du développement de logiciels, proposèrent le cadre méthodologique Scrum pour contrer cette « crise du développement de logiciel ». Ils ont, dans cette optique, mis au point un processus de développement conçu pour apporter énergie, concentration, clarté et transparence aux équipes de projet développant des systèmes logiciels. L’approche Scrum est par ailleurs devenue aujourd’hui le cadre méthodologique le plus mis en œuvre dans le monde.

Depuis ces travaux des années 1990, une variété de méthodes ont vu le jour, comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous :

généralisation des méthodes agiles


Historique des méthodes agiles

Il est aujourd’hui possible de classer ces méthodes agiles en deux grandes catégories :

  • Les approches à petites échelles (APE), qui désignent les méthodes du type scrum ou kanban, ayant été créées pour des petites équipes (4 à 9 personnes) ;
  • Les approches agiles à grande échelle (AGE), qui désignent les modèles scaled agile framework (SAFe) large scale scrum (LeSS), disciplined agile delivery (DaD), créées pour étendre l’agilité et coordonner des projets composés de plusieurs grandes équipes (10 à 150 personnes).

La multiplication des approches traduit bien l’engouement pour les méthodes agiles dans des organisations qui en retirent un certain nombre de bénéfices. Selon les travaux sur le sujet, elles favorisent notamment la réduction du délai de mise sur le marché d’un produit, augmentent la productivité des équipes, ou améliorent la qualité du produit livré. Il est par ailleurs à noter que ces types de bénéfices ont principalement été observés au sein de projets SI.

L’agilité au-delà des aspects techniques

Convaincues de ces apports, les grandes entreprises sont entrées dans une phase de généralisation de ces méthodes agiles au niveau de l’ensemble des projets Système d’information comme en témoigne l’appel du délégué général du Club informatique des grandes entreprises françaises (CIGREF) auprès de la communauté des chercheurs français en SI. Étant donné que ces approches sont nées dans le développement de logiciels, c’est principalement au niveau des projets touchant à la conception et au développement de SI qu’elles sont mises en place.

On pourrait donc croire que ces approches concernent uniquement les aspects techniques des projets. Or, cette vision, très réductrice, fait souvent obstacle à la généralisation des méthodes agiles auprès des acteurs non techniques. Par ailleurs, chez ces acteurs, la relation « client – fournisseur » entre les départements métiers et la DSI favorise une perception des méthodes agiles comme des méthodes exclusivement informatiques.

Près de 18 ans après la sortie du « Manifeste agile », les approches agiles se sont donc imposées. Mais le chemin vers leur généralisation est encore long.The Conversation

Akim Berkani, doctorant à l’université Paris-Dauphine, Université Paris Dauphine – PSL et Sébastien Tran, Directeur de l’École de Management Léonard de Vinci (EMLV), Pôle Léonard de Vinci – UGEI

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.